Jazz Impro & C° – disques de mai 2020

Lina Allemano -trumpet - Glimmer Glammer - Luma Records 2020
Lina Allemano « Glimmer Glammer » – trompette solo – Voir le catalogue !

L’heure de la sortie a sonné !
Nous reprenons pied progressivement dans ce « monde d’après » que nous espérions pendant quelques semaines de réclusion. En attendant que les musiciens ne retrouvent les scènes de France et le public qui va avec, il nous faudra encore nous satisfaire de musique enregistrée.
Ce ne sera pas une punition car beaucoup de disques (en numérique ou en plastique joliment empaqueté) méritent toute notre attention… Espérons que les programmateurs les écouteront pour repartir avec des idées neuves.
Voici une sélection de 18 disques extraits du catalogue de mai 2020 disponible d’un simple clic ci-dessous.

Escapade en Provence : Manuel Valera, Benjamin Moussay et Clover

L'Osons Jazz Club - Lurs - Alpes-de-Haute-Provence
à Lurs, Alpes-de-Haute-Provence, France

Lurs, charmant village des Alpes-de-Haute-Provence compte moins de 500 âmes mais héberge l’Osons Jazz Club, un de ces lieux exemplaires de culture et de jazz en milieu rural. Nous pensons chaleureusement à eux comme à tous ces lieux qui subissent les conséquences de la pandémie et du long confinement. Cette association peut être fière d’avoir accueilli il y a quelques mois le trio du pianiste cubain Manuel Valera. Le disque qui restitue cet excellent concert aurait pu être enregistré à New York, Paris ou La Havane, il n’en aurait pas été meilleur. On perçoit la complicité active d’un public enthousiaste à l’écoute d’un pianiste brillant. (Live at L’Osons Jazz Club – Criss Cross Jazz – M. Valera).
Restons en Provence pour rejoindre Pernes-Les-Fontaines, 90 km plein ouest, et son incontournable Studio La Buissonne. C’est là que Gérard de Haro et Nicolas Baillard, célèbres magiciens du son, ont enregistré le disque en piano solo dont Benjamin Moussay rêvait depuis si longtemps. Le pianiste a lentement mûri ce projet et on le trouve ici au sommet de son art. À La Buissonne, justement, en septembre 2012, il m’avait parlé de cette envie de solo… C’est fait et sur le label ECM, comme Keith Jarrett, en mieux ! (Promontoire – ECM).
Le même studio provençal avait accueilli le trio Clover, à savoir trois copains du pays nantais totalement en phase quand il s’agit de donner vie à de nouveaux projets. Et des projets, Alban Darche (saxophone, clarinette) en cultive à foison. Avec Vert Émeraude, il invente une musique de chambre à la vitalité tranquille en formule à anches (lui), le trombone de Jean-Louis Pommier et la contrebasse de Sébastien Boisseau. (Vert émeraudeYOLK Records)

Triangles magiques : Amphitryo, Chad Taylor et Jim Black

Amphitryo pourrait être le jumeau de Clover (ci-dessus) dans sa structure instrumentale. La contrebasse est ici remplacée par la basse ou la guitare de Nicolas Frache et tous les trois sont polyinstrumentistes d’où la large palette de couleurs de l’ensemble et son côté mutant. « Chaque morceau de ce disque raconte une histoire en musique, chacune avec son lot d’invention et donc de surprise. Un disque très stylé. » écrit mon ami Jean-Louis Libois pour CultureJazz. Sa chronique est à paraître sous peu. (Cheval de Troie – Obstinato/Inouïe).
Contraste avec le retour en force de la batterie dans cette sélection. Celle de Chad Taylor d’abord, musicien qui a le sens de l’architecture musicale et explore avec brio une géométrie singulière. La robuste main gauche du pianiste Neil Podgurski pallie aisément l’absence de basse. Brian Settles se positionne parfaitement dans ce triangle à l’équilibre implacable. Du solide ! (The Daily Biological – Cuneiform records).
Autre batteur, le formidable Jim Black livre aussi sa conception singulière du trio avec piano (ici Elias Stemeseder) sur le label Intakt de Patrik Landolt. Le choix semble plutôt porter sur un jeu intense de passe-passe entre batterie et piano avec, en pilier central monumental la contrebasse de Thomas Morgan, un géant de l’instrument au look d’éternel adolescent. Une matière sonore mouvante qui semble ne jamais se figer dans des codes établis. Inévitable donc ! (Reckon – Intakt).

Place aux dames : Dalia Donadio, Lina Allemano et Lori Sims

Je retrouve avec plaisir la vocaliste suisse Dalia Donadio, déjà écoutée sur le disque « Ich Als Du » du duo Schwalbe & Elefant (Culturejazz – septembre 2016). Dans ce trio quasi chambriste, sa voix porte et développe sur des mélodies aventureuses les textes du poète Daniele Pantano. Des chansons éclatées et reconstruites avec art. Belle complicité avec le guitariste Urs Müller et le contrebassiste Raphael Walser. À découvrir ! (Poem Pot Plays PantanoWideEar records – écoute de 3 titres sur ce lien !).
Restons dans l’univers innovant des musiques d’aujourd’hui en retrouvant la trompettiste canadienne Lina Allemano sur son terrain de jeu berlinois. Le batteur et subtil percussionniste, Michael Griener est allemand et le bassiste Dan Peter Sundland vient de Norvège. Berlin au carrefour des cultures, vivier d’énergies créatives, ça se confirme avec ce trio Ohrenshmaus ! Mélodies hachées menu, structures en équilibre instable, robustesse rythmique : l’aventure est garantie. Et vous pourrez la poursuivre avec le disque solo (trompette) de Lina Allemano qui paraît au même moment. (Rats and Mice -trio- + Glimmer Glammer -solo – Lumo Records).
Centaur records est un label américain qui se consacre au répertoire classique, domaine dans lequel évolue la pianiste Lori Sims. Elle se livre ici à un jeu de miroir autour du répertoire de Claude Debussy. À son interprétation respectueuse de la lettre répondent les impressions imaginées par le duo Andrew Rathbun (saxophone) / Jeremy Siskind (piano). Une double lecture qui éclaire d’une manière singulière la musique de Claude Debussy. Une curiosité superbement interprétée. (Impressions of DebussyCentaur records)

Place au jazz : Dave Douglas, David Glasser et Delfeayo Marsalis

Pour Dave Douglas, pas question de rendre hommage à Dizzy Gillespie en reprenant ou imitant « à la manière de » la musique du flamboyant trompettiste .
Dizzy Atmosphere invite à une gravitation guidée autour de la planète Gillespie. Deux trompettes, le son et la manière de la musique du XXIème siècle héritière du passé. Le trompettiste-créateur-producteur nous convie ici à une nouvelle excursion magistrale. Il ajoute une belle référence à la discographie qu’il constitue sur son remarquable label Greenleaf records. (Dizzy Atmosphere… – Greenleaf Records).
Hypocrisy Democracy pourrait être un disque-manifeste iconoclaste. Cependant, à la manière d’un Dave Douglas, Dave Glasser (1er alto du Count Basie Orchestra) veut montrer que le jazz a germé hier mais s’épanouit encore aujourd’hui dans une multitude de couleurs et de formes. Un disque plein de vie et de jazz, libre et structuré, un quartet très inspiré où l’on remarque l’excellent Matt Wilson (batterie), Andy Milne, pianiste attentif et subtil et la stabilité alerte de la basse de Ben Allison. (Hypocrisy DemocracyHere Tiz Musicvoir ici…)
J’évoquais le mois dernier le pianiste Ellis Marsalis décédé le 1er avril 2020 des suites d’une affection liée au Covid-19. Quelques semaines auparavant, son fils Delfeayo Marsalis (frère de Wynton et Branford) publiait ce disque flamboyant en hommage aux musiques de la Nouvelle-Orléans, d’hier à aujourd’hui avec son Uptown Jazz Orchestra. Une famille qui laisse et laissera une empreinte remarquable dans le monde du jazz. (Jazz PartyTroubador Jass).

Nouveaux codes : Tim Berne, Windisch Quartett et Ferdinando Romano

Le groupe Snakeoil du saxophoniste Tim Berne poursuit sa route, passant du label ECM jusqu’alors (dès 2012 ici…) à la belle maison de disques suisse de Patrik Landolt, Intakt Records. En chemin le groupe covoiture avec Marc Ducret. Rien de très surprenant à cela puisque le guitariste français est un fidèle complice de Tim Berne. L’écriture est comme toujours complexe mais captivante. Les solistes disposent d’espaces de jeu à leur mesure. Musique en quatre dimensions. Tout un monde… fantastique ! (The Fantastic Mrs 10Intakt Records)
Pas très éloigné de l’univers de Tim Berne, avec la même manière subtile et travaillée de mettre la musique en déséquilibre, je vous conseille l’écoute du Windisch Quartett. Cette jeune formation illustre bien la créativité de la scène jazz berlinoise (même si le saxophoniste alto Sölvi Kolbeinsson est islandais !). Julius Windisch n’est pas seulement un très bon pianiste, c’est aussi essentiellement un musicien qui a le sens du jeu collectif développé dans des architectures audacieuses et poétiques. (ChaosHout Records)
Ferdinando Romano est un contrebassiste compositeur italien qui réunit ici une formation (sextet / septet) autour d’un Totem où les a rejoint le grand maître de la trompette Ralph Alessi. Cette musique a une âme et joue sur une belle palette de couleurs (vibraphone et marimba y sont pour quelque chose). Le sens de la mélodie est délicatement latin comme le côté finement dansant des structures rythmiques. Un bel ensemble à découvrir. (Totem feat. Ralph AlessiLosen Records)

Aux USA : Heisenberg Uncertainty Players, Dave Rempis et John Scofield

À Chicago, entre le blues et les musiques créatives issues de l’AACM1Association for Advancement of Creative Musicians fondéen en 1965., on trouve un courant intermédiaire qui propose une musique qui peut être populaire sans rien céder à la facilité. C’est le cas de ce big band qui officie régulièrement dans les clubs de la ville des Bulls. HUP pour Heisenberg Uncertainty Players. Mélangeant les influences des musiques de leur temps (mais aussi Gustav Mahler !), ces agiles instrumentistes s’amusent sur un répertoire chaleureux. Il excellent dans le dribble et le rebond avec une palpitante Basket-ball suite en quatre quarts-temps au final de ce chouette disque. Match gagné ! (Gradient – huplayers.com)
Toujours à Chicago, rendons une petite visite au saxophoniste-improvisateur Dave Rempis qui propose la seconde partie de sa remarquable rencontre avec Joe McPhee (trompette de poche et saxophone ténor), Tomeka Reid (violoncelle) et Paal Nilssen-Love (batterie). Je vous avais présenté le Volume 1 en mars. La suite est tout aussi indispensable si vous êtes curieux des rencontres improvisées. (Of Things Beyond Thule – Vol. 2Aerophonic Records). À écouter aussi, le duo Dave Rempis – Frank Rosaly (batterie) qui vient de paraître sur le même label Aerophonic (voir le catalogue de mai).
Né dans l’Ohio en 1951, John Scofield reste un guitariste toujours fringant qui sait exploiter toutes les ressources de sa six cordes électrifiée. En compagnie de son ami le bassiste Steve Swallow, il aime se trouver des terrains de jeu qui stimulent le plaisir de la musique partagée. Cette fois, ce sont les compositions sorties de la belle cave de Steve Swallow qui sont à l’honneur. Des perles fines subtiles, parfois malicieuses restituées dans toute leur beauté avec la complicité incomparable du batteur Bill Stewart, fidèle gardien du rythme. (Swallow Tales – ECM)

À suivre… en juin 2020 !
Et d’ici-là ne manquez pas de visiter l’indispensable CultureJazz.fr !