Jazz, Impro & C° – avril 2020
Je pourrais intituler cette revue mensuelle « Jazz, impro & co…vid-19 » tant cet épineux virus chamboule l’ordre (trop ?) établi du monde.
La musique en général et l’univers du jazz en particulier ne sortiront pas indemnes d’une crise sanitaire dont on déplore les trop nombreuses victimes.
Ainsi, nous nous souviendrons du pianiste Ellis Marsalis (né en 1934) ou du trompettiste Wallace Roney (né en 1960) qui ont tous deux succombé aux complications respiratoires causées par le Covid-191Note du 15 avril 2020. Annonce du décès de Lee Konitz victime également des complications respiratoires du coronavirus..
Situation de crise majeure
On pense évidemment à tous les musiciens et aux professionnels de la musique et du spectacle qui doivent affronter la difficile épreuve des pertes de revenus liées à la crise. Cette situation est d’autant plus difficile dans les pays où la couverture sociale est insuffisante (les États-Unis par exemple…).
En France et en Europe, on suit au-jour-le-jour la cascade des annulations dans les clubs, les salles de concerts, les festivals… Ce printemps ne ressemble décidément à aucun autre.
Y a-t-il un printemps d’ailleurs car en l’absence d’un vrai hiver météorologique, on se croit déjà en été. Rien ne va plus décidément.
Et si on profitait de ce chamboul’tout phénoménal pour repartir sur de nouvelles bases le moment venu. En finir avec les festivals monumentaux sans véritable exigence artistique, faire moins et mieux, partout, tout le temps en ouvrant grands les oreilles et les yeux à l’écoute des créateurs.
En attendant, il nous reste de la musique enregistrée à écouter… confinés.
Le catalogue des disques du mois – avril 2020
Avant le confinement quasi-général des disques attendaient leur sortie. Même si de nombreux labels et éditeurs ont ajourné les nouvelles publications en attente des jours meilleurs, nous avons beaucoup de musique(s) à écouter.
Le format numérique permet de s’affranchir des transferts physiques si l’on souhaite faire quelques acquisitions et l’écoute en ligne (en streaming) est souvent possible en attendant de posséder l’objet-disque si affinités.
37 disques au catalogue
Comme chaque mois, je vous ai préparé un copieux catalogue au format PDF avec 37 disques déjà parus ou à paraître. Les liens actifs permettent de donner libre cours à votre curiosité. Vous pouvez (ou pas) vous appuyer sur les avis que j’émets en forme de clin d’œil (intérêt certain) ou de coup de chapeau (bravo !).
Il suffit de cliquer sur le bouton ci-dessous…
Clins d’œil et coups de chapeau.
J’extrais du catalogue d’avril 2020 une quinzaine de disques qui méritent notre attention et plus encore…
Trois trios : Carla Bley, Aruán Ortiz & Kurt Rosenwinkel
La fée Carla était de retour en février avec « Life Goes On » chez ECM. Carla Bley, Steve Swallow et Andy Sheppard, encore et toujours. « Les trois réunis semblent faire la nique au silence en posant autant de notes que de respirations.« . Yves Dorison rendait un bel hommage à la musicienne et à ce triangle magique dans sa chronique en février pour CultureJazz (OUI !).
Connaissez-vous Aruán Ortiz, formidable pianiste cubain-new-yorkais ? « Inside Rhythmic Falls » sur l’excellent label suisse Intakt est une phénoménale cascade de rythmes. Le piano se nourrit des percussions du prophétique Andrew Cyrille et du poète des sons cubains, Mauricio Herrera. Chronique à lire sur CultureJazz.fr, ici… (OUI !).
Le guitariste allemand Kurt Rosenwinkel n’est pas en manque d’inspiration. Avec son trio (Dario Deidda : guitare basse ; Greg Hutchinson, batterie), il se permet de donner de nouvelles couleurs parfois audacieuses à des compositions de Monk, Mingus et autres… « Angels Around » (Heartcore Records).
Made in France : Boni – Terrasi, Patrois et Gaudillat
Le contrebassiste Bastien Boni est habitué à converser/improviser avec son père guitariste, Raymond Boni. Il dialogue ici avec Nicoló Terrasi, guitariste italien d’origine installé en France. Avec Partitions invisibles, on dépasse l’improvisation pour aborder la composition spontanée et l’élaboration dans l’instant d’architectures sonores uniques combinant sonorités acoustiques, électroniques et « concrètes » comme aurait dit Pierre Schaeffer. Entre abstraction et mélodies volatiles, ce disque est une invitation à un voyage inouï. (label Mazeto Square).
« Solos volubiles, énergie débridée, thématiques inspirées… La poésie sauvage est au rendez vous !« . Ainsi nous est présenté le nouvel album du quintet réuni par le vibraphoniste David Patrois en association avec son compère percussionniste Pierre Marcault. Le jazz renoue avec l’Afrique imaginée en France en compagnie d’une solide équipe de musiciens déterminés et enragés. « Wild Poetry » (distribution Socadisc).
« Electric Extension » est une des meilleurs productions françaises de ces dernier mois ! Le trompettiste Rémi Gaudillat a fait muter son ensemble à vents, Possible(s) Quartet, en un sextet vitaminé sous les conseils artistiques d’Olivier Benoit (ex-directeur de l’ONJ). Un double album magnifique avec Louis Sclavis en invité que je chronique pour CultureJazz (c’est ici… avec un OUI !). Label Z Production – Inouïe distribution.
Autour du piano : Pandelis Karayorgis et Stefano Travaglini
Pandelis Karayorgis est né à Athènes en 1962. Installé à Boston (USA) depuis le milieu des années 80, il a étudié au New England Conservatory avec des maîtres aussi éminents que Paul Bley, Jimmy Giuffre ou George Russell. Il s’illustre ce mois-ci dans deux enregistrements sur le label Driff Records.
CutOut » est un quintet qui ré-explore les codes du jazz avec une grande élasticité esthétique, mettant en valeur la personnalité affirmée des improvisateurs qui le composent. Musique épatante, vivante, parfois acrobatique mais non dénuée de swing. (cf. Driff Records – Bandcamp)
Dans la formule piano-contrebasse-batterie, Pandelis Karayorgis anime deux trios, Cliff et Pools. Il a eu envie de les réunir pour ce nouvel album en privilégiant les séquences d’improvisation libre associées à trois compositions « ouvertes » du pianiste. Haute densité ! (cf. Driff Records – Bandcamp)
Stefano Travaglini est italien. Il a enregistré ce disque à Paris sur le beau piano Fazioli du Studio Sequenza. Nous connaissons assez bien désormais l’aspiration poétique de ce musicien désireux de modeler les formes du jazz en fonction de sa personnalité d’artiste. Il tente de s’approprier les compositions de Thelonious Monk pour modifier l’angle du vue sur une musique déjà tellement singulière. Un vrai défi qu’il relève brillamment en donnant à ces thèmes mythiques une parure nouvelle, plus mélodique, plus « classique ». Quitte à en froisser certains, il fait preuve d’une audace convaincante. (Notami Records)
Guitares américaines : Gordon Grdina & Pat Metheny
Un petit tour en Amérique du Nord en commençant par le Canada avec Gordon Grdina. Le guitariste et joueur de oud basé à Vancouver multiplie les projets… pour notre plus grand plaisir. Rappelons le disque du Nomad Trio paru en février 2020, par exemple.
Le Gordon Grdina Septet associe un des trios du guitariste, un trio à cordes et le saxophoniste Jon Irabagon qui est aussi responsable de la publication du disque sur son propre label Irabagast Records. Écriture très inspirée, instrumentistes au top, couleurs sonores travaillées (le oud, les cordes…). Une musique contemporaine dans l’esprit du jazz et de l’improvisation. (Site de Gordon Grdina).
Belle réunion de cordes jazz avec Mark Helias et Hank Roberts, le groupe The Marrow de Gordon Grdina est centré sur les musiques du Moyen-Orient. Autour du oud, du violon et des percussions traditionnelles d’Hamin Honari, « Safar-E-Daroon » est un disque envoûtant d’un très haut niveau artistique qui pourra plaire aussi à ceux que le jazz-jazz rebute un peu ! (cf. Label Songlines – Dafar-E-Daroon).
Traversons la frontière pour entrer aux États-Unis et retrouver Pat Metheny. Son nouvel enregistrement en studio a été réalisé avec le remarquable quartet qu’il a constitué en 2017 augmenté d’un grand orchestre et d’invités bien choisis. Une superbe réalisation à partir de nouvelles compositions très abouties. Magnifique prestation de Linda May Han Oh à la contrebasse ! Chronique à lire sur CultureJazz. (« From This Place » – Nonesuch Records, à écouter ici…)
Chants mêlés : Shabaka Hutchings, Vienna Carroll & Talinka
On en revient à la simplicité, la force ou la poésie du chant et des voix pour conclure cette revue.
Beaucoup, comme moi, ont découvert le saxophoniste britannique Shabaka Hutchings dans le groupe Sons of Kemet. Musicien militant, sorte d’hybridation entre Albert Ayler, David Murray et le punk-jazz londonien, il enregistre son second album avec les musiciens sud-africains qui constituent « The Ancestors« . « We are sent Here by History » porte un message social et humaniste autant que musical. C’est simple mais dense, composite et efficace. (Impulse! Records – Universal).
Vienna Carroll se donne aussi comme mission de partager l’histoire de la musique africaine-américaine à travers l’expression artistique. Chanteuse américaine, comédienne, historienne et… herboriste, elle butine ici parmi les chants traditionnels afro-américains. Avec son trio « The Folk« , elle restitue l’authenticité de chants ancestraux. Une retour aux racines purificateur ! (Harlem Field Recordings – Autoproduction- écouter…).
Je conclus avec un petit bijou de poésie que l’on doit à Tali Atzmon, chanteuse et comédienne britannique, épouse du musicien, écrivain, journaliste Gilad Atmon. Je termine avec la conclusion de ma chronique à lire parue sur CultureJazz.fr : « Avec la force des conteurs et une mise en forme musicale délicate, raffinée, très touchante, ils nous emmènent dans leur univers poétique entre balades, folklores du jazz et d’ailleurs. Un arc-en-ciel porteur d’espérance !« . Avec un OUI! CultureJazz bien mérité. Lire ici…. (Rainbow over Kolonaki – Fanfare Records).
À suivre… en mai 2020.
Et d’ici-là ne manquez pas de visiter l’indispensable CultureJazz.fr !