Jazz, Impro & C° – GaZZette d’octobre 2020

Aller au concert, même avec un masque, est une forme de résistance aux effets néfastes du virus qui sclérose notre vie sociale et… mentale. Saluons à cette occasion la combattivité des lieux de culture qui continuent leur travail si essentiel dans des conditions acrobatiques imposées par un ennemi invisible et encore invincible.
Le théâtre de Coutances est de ceux-là. Il proposait un double programme jazz le 16 octobre 2020, le quatuor de pianos « PianoForte » précédé par le trio Un Poco Loco.

Ne pas tomber dans le piano ?

piano de concert

Baptiste Trotignon, Éric Legnini, Bojan Zulfikarpašić et Pierre de Bethmann réunis à la même affiche d’un « PianoForte » à quatre claviers, c’est vendeur pour une agence artistique. Assis devant deux grands pianos et deux Fender Rhodes, les quatre « piano fortiches » se livrent à une joute amicale pleine de notes. Trop de notes. La platitude de la disposition scénique se double d’une platitude des discours et d’une hyper-densité harmonique (le propre du piano si on n’y prend garde). De toute évidence, c’est une réunion sans vision artistique. Il eut fallu créer du relief, proposer des formes, des couleurs qui captent l’attention de l’auditeur. Sans cela, ce dernier reste un observateur passif et souvent admiratif de tant de virtuosité affichée dans un esprit de franche camaraderie estimable s’il n’est pas feint. La linéarité du discours ne provoque que l’ennui.
J’avoue que j’ai « jeté l’éponge » au milieu du concert. Bojan Z et Baptiste Trotignon, en duo de pianos acoustiques (leurs potes partis en coulisse), venaient de montrer enfin que deux pianos c’est grandement suffisant. Leur dialogue fut un moment de jeu et d’écoute aux formes plutôt captivantes. Autant partir sur ce souvenir.
Avant eux, le trio Un Poco Loco avait proposé une musique riche et passionnante en terme de formes, de couleurs, d’inventivité. Le contraste était saisissant et la comparaison imparable… On lira le compte-rendu de ce concert de première partie sur CultureJazz, ici.

Les 46 disques du mois

Angelica Sanchez et Marilyn Crispell, How To Turn The Moon, Pyrolastic Records 2020

Vous voulez écouter une vraie rencontre de pianistes ?
Je vous conseille vivement le superbe duo de pianos (acoustiques) de deux grandes spécialistes du clavier Outre-Atlantique, Angelica Sanchez et Marilyn Crispell. « How To Turn The Moon » est un disque aussi renversant que son titre. De la musique de créatrices. Il est publié sur Pyrolastic Records, le formidable label d’une autre grande dame du piano, la canadienne Kris Davis.

Retrouvez ce disque dans le catalogue du mois d’octobre 2020 (pdf) à télécharger ci-dessous (détails, références, liens utiles…).


La mosaïque des disques au catalogue d’octobre 2020.

Les préférés du mois :

Ce mois-ci, les musiciennes et musiciens nord-américains sont encore à l’honneur. Ce n’est pas un parti-pris, c’est une constatation. Paradoxalement, la nation de Trump est à la pointe des musiques créatives. Ce ne doit pas être un hasard. L’urgence, la résistance, la lutte contre la culture de la niaiserie génèrent des mouvements très positifs…

Tous les détails et les liens utiles sont disponibles dans le catalogue en lien ci-dessus.

Mary Halvorson’s Code Girl : « Artlessly Falling »

Amirtha Kidambi : voix / Maria Grand : saxophone ténor, voix / Adam O’Farrill : trompette / Mary Halvorson : guitare / Michael Formanek : contrebasse / Tomas Fujiwara : batterie, percussion /+/Robert Wyatt : voix (1, 3, 5).

MaryHalvorson's Code Girl, Artlessly Falling - Firehouse 12 Records - 2020

Code Girl, c’est le groupe « paritaire » de Mary Halvorson : trois femmes, trois hommes. On retrouve dans ce sextet ses compagnons du trio Thumbscrew (Formanek, Fujiwara) et en invité exceptionnel, Robert Wyatt, dont la voix est présente sur trois titres. Pour « Artlessly Falling« , la guitariste a composé et écrit une suite de chansons dans un style aussi indéfinissable que peut l’être la musique de Wyatt (qu’elle vénère !). Écoutez « Walls and Roses« , une douce mélodie sur laquelle Mary Halvorson se déchaîne entre éclairs hard-rock et une dentelle de notes finement piquées : foudroyant ! J’ajouterai que la voix d’Amirtha Kidambi, spécialiste des techniques de chant traditionnel de l’Inde s’associe parfaitement à l’élasticité mélodique du jeu de Mary Halvorson dans cette musique qui se moque des frontières esthétiques. Une très belle réussite ! – [Firehouse 12Recordings]

Junk Magic (Craig Taborn) : « Compass Confusion »

Junk Magic with CraigTaborn, Compass Confusion, Pyrolastic Records 2020

Craig Taborn : piano, claviers / Chris Speed : saxophone ténor, clarinette / Mat Maneri : alto / Erik Fratzke : basse / David King : batterie et batterie électronique.

Craig Taborn n’est pas seulement un pianiste d’exception, c’est aussi (surtout) un musicien ouvert à tous les vents musicaux et inspiré par les musiques de son temps. Avec le groupe Junk Magic, il réunit une fameuse équipe de copains parfaitement en phase avec son envie d’explorer des espaces musicaux nouveaux. Encore une fois, c’est sur le label Pyrolastic Records de Kris Davis que paraît ce disque d’importance. Loin des stéréotypes des musiques électroniques commerciales, ces musiciens maîtrisent parfaitement leur projet créatif. La recherche du « son » ne prend jamais le pas sur la musique. Une réussite exemplaire ! – [Pyrolastic Records]

Lafayette GILCHRIST : « Now »

Lafayette Gilchrist : piano, compositions / Herman Burney : contrebasse / Eric Kennedy : batterie.

Lafayette Gilchrist, Now, 2020

Je termine cette sélection de disques d’octobre 2020 avec un retour aux formes plus conventionnelles du jazz.
Le nom de Lafayette Gilchrist a été associé à celui de David Murray à partir de 1999. Musicien au parcours atypique, il mène une carrière fort intéressante et ce nouveau disque en trio très classique dans sa forme (piano-contrebasse-batterie) vient nous rappeler qu’il faut compter avec lui. Les « trios de piano » sont légion dans le jazz mais celui-ci possède bien des qualités : sens de la mélodie et des développements harmoniques, cohésion du trio où chacun parvient à mettre en évidence sa voix… Une belle réussite qui nous rappelle que le jazz bien joué est un formidable exercice d’équilibre qui doit rechercher l’émotion de l’auditeur autant que le plaisir du jouer ensemble. Élément à noter : l’enregistrement sert parfaitement cette musique en restitant les timbres de manière très naturelle. Beau disque d’ailleurs autoproduit par L. Ghilchrist. – [Lafayette Gilchrist Music]


Lire aussi les chroniques sur CultureJazz.fr !


À suivre… en novembre 2020 !