[Jazz à Coutances] Ainsi germa un festival… sous les pommiers.

Au hasard d’une séance de rangement, nous avons retrouvé le tract qui annonçait le concert du 10 octobre 1980. « Jazz à Coutances » avec Steve Waring et le Marvelous Band ! Le germe d’un festival de jazz qu’on imaginait alors comme point fort d’une programmation régulière.
C’est l’occasion de revenir sur un moment fondateur dans l’inscrustation du jazz à Coutances, dans la Manche (France)…

Quarantième anniversaire

Jazz Sous Les Pommiers, Coutances, Manche, logo tract 1982, © Jacqueline Guéhenneux
Dessin pour le tract d’annonce du festival début 1982

Le festival Jazz sous les Pommiers aura 40 ans le 18 mai 2022, deux jours avant que ne débute sa 41ème édition.
Au commencement, on connaissait Coutances, petite ville du département de la Manche, pour sa cathédrale et son jardin public. Notre pari de fondateurs du festival de jazz était de détrôner au moins le jardin public. La cathédrale restera le phare qui illumine la ville et la fait rayonner.
Sur le plan de la réputation et du développement touristique, voire économique, le pari est gagné. Sur le plan de la curiosité artistique, c’est devenu une autre histoire que celle que nous avions imaginée. J’ai eu souvent l’occasion de le dire et de l’écrire depuis mon départ de l’organisation en 1990.
Je reviens cependant sur la genèse de l’histoire : comment le jazz a-t-il germé à Coutances ?

D’un trio à l’autre.

Humair Jeanneau Texier, OWL records 1979
Daniel Humair, François Jeanneau, Henri Texier

Pour sa vingtième édition, l’équipe de Jazz sous les pommiers avait confié à Michel Tanneau la rédaction d’un ouvrage intitulé « Sous les pommiers, le jazz« 1Édité par le Comité Coutançais d’Action Culturelle en 2001.. Ce journaliste qui fut longtemps coutançais et bénévole dans la manifestation n’avait pas connu l’origine mais avait mené un travail d’investigation approfondi. Son ouvrage demeure un support fiable et objectif sur le plan historique.
C’est bien autour de la programmation du trio Humair-Jeanneau-Texier dans le cadre de la toute jeune saison 1979-1980 du théâtre de Coutances que se constitua un autre trio composé de Gérard Houssin, le directeur du Centre d’Animation (et du théâtre par la même occasion), de Denise Giard, mon épouse et de moi-même.

Du rock « progressif » à Anthony Braxton

Entré à l’école normale de Coutances en 1975, j’étais fasciné par le jazz depuis qu’un copain disquaire, Jean-Pierre Niobey, m’avait amené à glisser de la pop et du rock vers le groupe Weather Report puis Miles Davis pour arriver à… Anthony Braxton (le choc !). Dès lors, je n’avais de cesse d’essayer d’œuvrer très modestement pour permettre le développement de la diffusion de ces musiques sur notre territoire bas-normand.
La création de l’association Caen Jazz Action en 1979, petite sœur du Rouen Jazz Action, fut une aubaine. Nous pouvions écouter du jazz vivant et créatif, au prix de fréquents déplacements d’une centaine de kilomètres vers la capitale régionale2Quand on y repense, ces programmations étaient autrement plus courageuses et audacieuses que ce qu’on nous propose aujourd’hui sur la plupart des scènes françaises désormais subventionnées. Au cours des années 80, cette association se restructura en abandonnant la diffusion à travers des concerts pour se recentrer sur des ateliers de pratique du jazz.. Je me proposai très vite comme relais d’information sur Coutances, placardant les affiches sérigraphiées que m’envoyaient les reponsables de l’association caennaise (Patrice Cotensin et ses acolytes)…
Quand je découvris que le trio Humair-Jeanneau-Texier3Daniel Humair : batterie / François Jeanneau : saxophones / Henri Texier : contrebasse. (une formation phare du jazz français de l’époque) figurait au programme du théâtre de Coutances, je pris rapidement contact avec Gérard Houssin en lui proposant de relayer l’information sur Caen. Aider à la réussite de ce concert était assurément pour nous une manière d’enclencher un processus qui pouvait aider à réaliser nos rêves de concerts dans la ville. Au delà, il y avait l’idée complémentaire d’un développement de la pratique du jazz par le biais d’ateliers dans un premier temps au moins…
L’histoire aura retenu que le concert du trio Humair-Jeanneau-Texier le 1er avril 1980 (ça ne s’invente pas !) était le premier germe de l’implantation du jazz à Coutances.
Ce fut aussi l’événement fondateur de la constitution du trio que nous devions former avec Gérard qui devint notre voisin (un hectomètre environ sépara nos domiciles, ça aide…).

Nîmes ?

On a souvent dit et écrit que l’idée de la création du festival de Coutances s’était bâtie lors du Festival International de Jazz de Nîmes à la toute fin des années 70. C’est sympathique et anecdotique mais des idées aux actes, il y avait du chemin à parcourir. C’est bien le travail de fond étape par étape à Coutances qui mena à l’implantation locale du jazz et pas seulement les discussions informelles à l’entrée des arênes avec d’autres festivaliers normands retrouvés sur place !
L’idée de créer une association Coutances Jazz Action nous avait un temps motivés, pour continuer la chaîne avec Caen et Rouen. Il nous sembla plus raisonnable de nous appuyer sur la dynamique culturelle qui se mettait en place autour du théâtre grâce au travail et à la curiosité de Gérard. Coutances reste une petite ville et les rêves devaient être un peu tempérés d’autant plus que nous n’avions pas encore réussi à fédérer localement d’autres fans motivés pour développer nos projets.

Steve Waring : un pont vers les agitateurs de l’ARFI lyonnaise.

Steve Waring et le Marvelous Band, La nuit dort le jour, Le Chant du Monde 1980.

Notre ouverture au jazz contemporain nous amenait du mouvement militant des musiques créatives afro-américaines (l’AACM de Chicago, la « Loft-Generation » à New-York autour de Sam Rivers…) vers les collectifs européens. Parmi eux, l’Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire fondée en 1977 pour fédérer le Workshop de Lyon, la Marmite Infernale (grande formation) et le Marvelous Band4Collectif toujours bien vivant et fertile qui se régénère sans cesse !. (Cf. arfi.org)
Il se trouvait alors que Steve Waring, le chanteur-guitariste alors bien connu comme un des précurseurs des chansons pour le jeune public, rejoignit l’ARFI. Il ajouta le saxophone alto à sa panoplie instrumentale et trouva une vraie fraternité musicale auprès des membres du Marvelous Band (Alain Gibert, Guy Villerd, Maurice Merle, Louis Sclavis et Christian Ville) mais aussi dans la Marmite Infernale. Comme Waring, les membres du Marvelous étaient des collecteurs de sons et de musiques trouvées dans leurs terroirs. Cela fit de cette formation une pionnière du free-folk, joyeuse et inventive.
L’opportunité se présentait alors de fédérer un public curieux de nouvelles musiques et les accros de la « Baleine Bleue« , « La vieille dame » ou « Les grenouilles » chansons au répertoire des enseignants et autres animateurs de centres de loisirs. Pari un peu osé aussi car nous savions que Steve Waring avec le Marvelous Band nous emmèneraient sûrement dans des contrées musicales un peu plus sauvages et inexplorées pour ce public « non-averti ».

Ballon d’essai

Jazz à Coutances, Steve Waring & Marvelous Band, Coutances, octobre 1980, Tract A4
Le tract annonçant le « récital » (!) et les actions périphériques… Machine à écrire et Letraset !

Il ne fut pas très difficile de convaincre Gérard Houssin de lancer ce ballon d’essai. Sa confiance, sa capacité à laisser s’exprimer les idées un peu audacieuses nous offrirent une vraie occasion d’expérimenter autre chose qu’un simple concert. Soutenu par la responsable de L’Office Départemental d’action Culturelle de la Manche, il avait désormais l’envie de « créer un temps fort dans la saison« … Mais sur quelle thématique ? Il y avait là une opportunité à saisir pour le jazz. Une phase de test s’imposait.
En invitant ces membres de l’ARFI lyonnaise les 10 et 11 octobre 1980, nous pouvions aussi prendre en compte la mission pédagogique et de sensibilisation artistique de cette association très polyvalente. Il fut alors possible d’organiser autour du concert5On notera l’emploi du mot « récital » terme désuet peu adapté à la musique d’improvisation ! du vendredi soir un temps d’animations scolaires et un atelier de sensibilisation à la pratique musicale le samedi. C’est ainsi que des musiciens amateurs ou totalement novices purent profiter des compétences pédagogiques de Louis Sclavis, Alain Gibert ou Maurice Merle.
On le sait maintenant, ce concert fut une réussite puisque le public répondit en nombre, embarqué pour l’aventure musicale proposée ce soir-là. Les ateliers du samedi trouvèrent un public curieux, ravi de se découvrir des capacités souvent ignorées pour utiliser sa voix ou explorer les possibilités des percussions corporelles (une grande spécialité de l’ARFI à l’époque).

Un rêve qui se concrétise, par étapes…

Quelques mois plus tard, le quartet du tromboniste Michael Zwerin (1930-2010) figurait au programme de cette même saison 1980-81. Cette formation sans instrument harmonique n’était pas pour autant conforme aux critères standardisés du jazz. Le public répondit encore très favorablement en renforçant notre souhait d’inscrire cet univers musical dans le paysage culturel coutançais.

En novembre 1981, le duo Patrice Caratini – Marc Fosset était invité. Il sut séduire les spectateurs du théâtre de Coutances au moment où se constituait l’équipe de bénévoles qui allait bâtir le futur festival.
Au printemps suivant, le mardi 18 mai, le Mike Westbrook Brass Band ouvrait la première édition de Jazz Sous Les Pommiers.

La suite de l’histoire de cette manifestation aujourd’hui réputée a été largement racontée et commentée. C’est désormais tout autre chose…